Ironman 70.3 Porto Rico : Pirates Grenouilles des Caraïbes J-1/Jour J

BySylvain Pigeau

Par Pierre-Yves Teycheney

Grenouille PYT s’est qualifié le 20 mars pour les championnats du monde 70.3 qui auront lieu en Australie le 4 septembre prochain. Il nous raconte l’histoire de sa qualification, aux coté de sept autres Grenouilles à San Juan, Porto Rico.

Jour-J

Voilà on y est. On se prépare pendant des mois de façon un peu insouciante, en pensant à une échéance lointaine. Et un beau jour, elle est là, l’échéance, elle vous réveille même à 4h du matin par un injonction sans appel. Faut y aller.

Bien entendu, l’idée de feindre une panne d’oreiller vous effleure. Après tout, pourquoi ne pas profiter de la journée pour buller au bord de la piscine de l’hôtel en lisant un roman facile et/ou en sirotant un cocktail?Mais le triathlète est un peu fondu du bocal et toujours préfèrera la sueur et la souffrance à l’attrait du farniente. Il est 4h, et je me lève.

Deux bols de porridge plus tard, ça va pas mal. Je vérifie pour la vingt huit millième fois que je n’ai rien oublié dans mon barda, je pousse même la perfection jusqu’à pré ouvrir mes Mule Bars afin d’éviter de galérer à vélo. Je retrouve Jean-Marc en bas des ascenseurs et on part au parc à vélo déposer nos affaires, gonfler nos pneus, voir les copains aussi. Et ensuite, comble du luxe, on repasse à l’hôtel pour s’étirer un coup, faire quelques ablutions. Puis direction le départ de la natation, de l’autre côté du pont. Là, je me retrouve tout seul pour finir de m’échauffer à sec, me préparer pendant que les pros démarrent comme des fusées. 14 minutes plus tard, ce sera mon tour et celui de Zouti, les autres grenouiles partiront après parce qu’Ironman est bien élevé et fait d’abord partir les personnes âgées.

Je ne vais pas vous faire le coup du départ, tout le monde connait cette ambiance de baston festive. Pas de quartier, quand faut passer, faut passer et malheur à qui se trouve sur la route du triathlète décidé. Franchement, pour une fois, je m’en tire pas trop mal question trajectoire et j’ai l’impression que ça se passe pas trop mal. Impression un peu trompeuse au vu du chrono, mais l’essentiel est de se sentir bien: ça met en confiance pour la suite. En tout cas, cette entame de course semble m’avoir extirpé de la torpeur dans laquelle j’étais englué depuis 2 semaines. Les 200 derniers mètres sont un peu houleux et il y a du courant. Ensuite, il faut grimper un escalier en bois (avec de l’aide) puis galoper sur environ 500m (!!) jusqu’au stade. Ça c’est rigolo car ça permet de gratter des concurrents pendant la transition!

Arrivé au stade, le parc est quasi plein (c’est l’avantage de partir dans les premières vagues). Je réussis à ne pas perdre trop de temps, à jurer comme un charretier en ne parvenant pas à enfiler mes godasses une fois sur le vélo (j’essaie de faire comme les pros), et puis c’est parti pour 90 bornes. Le parcours commence par une assez jolie collection de ponts et de l’autoroute, et déjà du vent. Un vent usant et sournois, jamais de dos, toujours de travers. Une louloute qui mouline à 200 tours / minute environ me passe puis se pose devant moi, le genre de truc qui me fait râler car le règlement stipule qu’il faut respecter une distance de 12m entre les concurrents et ralentir quand on vous double. Je la repasse, et ça va être un peu comme ça pendant tout le parcours, de même qu’avec un malabar à gros jambons et roue lenticulaire qui va me faire le même coup. Jeu très dangereux car le tarif du drafting, c’est 5mn de pénalité, donc il faut respecter les distances. Les kilomètres passent, et toujours ce vent, qui forcit à l’approche de la côte. J’ai déjà super mal aux jambes et je suis assez inquiet pour la suite, à commencer par mon temps vélo (je visais 2h30, ça sera 2h39). En revanche, pour une fois je respecte les règles de nutrition de base, bien s’hydrater et s’alimenter. Arrivée au parc en fanfare, en retard sur mon planning mais je suis satisfait de ma gestion à la Nadia: ne pas taper dedans à vélo pour pouvoir envoyer à pied.

Et le fait est que le parcours à pied commence pas mal du tout. Je croque, je croque et me venge de ceux qui ont eu l’impudence de me doubler à vélo (pas tous, comme la suite va le montrer). Avoir reconnu le parcours s’avère stratégiquement payant, car je sais où ça va faire mal et où ça va aller tout seul. Comme il y a parfois une justice, le vent qui nous a cruellement usés à vélo va s’avérer un allié dans la rôtissoire du bas du fort. Il y fera chaud, mais moins que ce que je pensais, grâce au doux zéphir. Reste que je ne prends aucun risque et que j’écume tout les ravitos, un vrai pilier de bar. A la fin de la première boucle, je sens que je peux faire un truc pas mal. Je me délecte chaque fois que je double un mec de ma catégorie (nos âges sont inscrits au marqueurs derrière nos mollets, ça fait un peu veau de concours mais c’est très utile). Le problème est de deviner lorsque je les croise quels sont les concurrents de mon groupe d’âge qui sont devant moi. J’en compte 6 et je joue à cache cache avec celui qui est juste devant moi: je le double au train, il me double aux ravitos (lui sait boire en courant, moi pas). Il s’arrête à un moment car il a visiblement une crampe (moi aussi, mais je ne m’arrête pas!) et je me dis que c’est bon. Pas du tout, il me double au ravito suivant et se taille à bonne allure. Là, je me dis que c’est cuit, mais je m’accroche.

Cette stratégie va payer car il va vraiment finir par s’arrêter sur crampe et marcher, et ce coup ci il ne reviendra pas. Faut dire que, fidèle à ma réputation, je me suis planté dans mes calculs et ai commencé à bien envoyer au 11e mile, pensant que le parcours en faisait 11.6. Sauf qu’il en fait 12.6. Lever le pied? Plutôt crever! Alors je serre les dents et en remets une couche. J’arrive au panneau 12 miles, et c’est la ligne droite vers l’arrivée, le foutu pont qu’il faut gravir et le portique libérateur. C’est fini et mes jambes explosent en silence.

Direction le service médical où je vais passer deux heures en état de déshydratation avancé. Mes jambes sont tétanisées et c’est l’horreur absolue. On me file à boire mais je ne peux même pas me lever du lit d’examen pour porter la bouteille à ma bouche, alors le médecin décide de me perfuser. Et voici qu’entrent en action deux infirmières adorables et incompétentes qui vont transformer mes avant bras en golf 18 trous. Et que je te pique, ah ça marche pas, voyons si j’enfonce un peu plus l’aiguille, ah non toujours rien, bon on va changer de veine. Finalement, je viderai mes 4 litres de liquide dans mon gosier et tout va à peu près rentrer dans l’ordre, à ceci prêt que la température de l’infirmerie est d’environ 4°C (la clim est réglée sur position congélation) et que je vibre tant je grelotte. Et bien entendu, pas une couverture à l’horizon, alors on m’emballe d’essuie tout. Grandiose! Puis le médecin, qui n’est pas une demi portion, et un malabar du service me transfèrent sur un fauteuil roulant et on sort papi se réchauffer au soleil: bénédiction absolue. Je revis et en profite pour enfin regarder mon temps sur ma montre : 5h04 et de brouettes, et cette satanée barre des 5h qui continue de me narguer. Pas très content de ce temps, mais je n’ai aucun regret, j’ai fait la meilleure corse que je pouvais faire aujourd’hui.

Un jour d’avril 2014, j’ai discuté avec Patrice Palmont sur l’estrade de remise des prix du 70.3 de Floride, où je m’étais royalement vautré. On attendait la cérémonie d’allocation des slots pour les championnats du monde, dans la douce lumière orange d’une fin d’après midi floridienne. Il m’a explique le système un peu bizarre d’attribution, et dit que quoi qu’il advienne, il faut toujours assister à la cérémonie au cas où des gens refusent leur slot, lesquels sont attribués à la personne suivante dans le classement. Je suis 6e au classement de ma catégorie, ce n’est pas ce que j’espérais, mais je pense à ce que m’a dit Patrice, et que m’ont répété Sylvain, Nadia, Christelle. Il y a peut être un coup à jouer. Les trois premiers de ma catégorie sont récompensés et déclinent tous les trois leur slot, soit qu’ils l’aient déjà obtenu soit que ça ne les intéresse pas. Le 4e aussi et là je sais que c’est bon. Et comme le 5e refuse également, je me retrouve premier qualifié. Je signe tout ce qu’on veut, je paie l’inscription: en route pour Mooloolaba, le 4 septembre.

Ce qui m’arrive est très agréable et j’en suis ravi. Je le dois certainement à pas mal de travail mais aussi à pas mal de gens. Mes copains du club avec lesquels je m’entraine depuis la prépa Francfort et qui m’ont permis de progresser (ils se reconnaitront et bêleront de plaisir); mention spéciale à mon alter ego Bertrand, avec lequel j’ai usé beaucoup de gomme sur beaucoup de routes et vécu des moments sportifs qui sont parmi le plus beaux de ma longue carrière; ce club que j’aime tant et dans lequel je le sens si bien; Fred, le meilleur kiné du monde, qui prend soin de ma carcasse et me mitonne des séances de récup aux petits oignons; Remy qui pour sa part me pousse à bosser à la piscine -et j’aime ça!; Sylvain, grâce à qui le déclic à vélo s’est produit à la fin de l’année dernière -même si ça ne se voit pas sur cette course- et qui aurait du être à San Juan avec nous, qui sera, j’en ai la conviction, de nouveau au départ de courses; Nadia et Christelle dont l’expérience autrichienne m’a donné envie de tenter le coup de la qualif. Et vous tous qui me lisez, et qui, pour beaucoup, suivez nos déplacements depuis la maison et nous encouragez: merci, et surtout continuez.

 

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Et soudain, nous voici à J-1!

Les triathlètes et leurs vélos semblent s’être multipliés pendant la nuit, comme les champignons dans les sous bois à l’automne, et ils ont envahi le hall de l’hôtel et ses couloirs pour un défilé de tenues multicolores, de machines high tech ou -plus rarement- vintage, un kaléidoscope humain illustrant les vertus du métissage.

Après avoir collé ma collection d’étiquettes sur mon  vélo, mon casque, mon sac de transition, puis avoir préparé tout mon barda en essayant de ne rien oublier (godasses, gels, barres, lunettes, bidons, casquette, chaussette, bonnet de bain : un inventaire à la Prévert), je pars courir et nager un peu sur le parcours de la course. Le soleil tape déjà fort et le vent est soutenu. A priori nous aurons ces conditions demain, ce qui augure d’un parcours vélo un peu pénible et d’un parcours course à pied muy caliente.

Le briefing nous apprend peu de choses, si ce n’est que quelques règles d’arbitrage ont changé (12m entre les vélos) et que les seuls risques de précipitation sont du genre pluie de cartons jaunes (stop & go) ou bleus (5mn d’arrêt).

La principale activité d’une veille course consiste à aller poser son vélo au parc. Je m’apprête à sacrifier à ce rite immuable lorsque je découvre avec stupeur que mon pneu arrière est dégonflé. Direction le bike shop pour un changement express de chambre et, tant qu’on y est, pose de fonds de jante sur les deux roues. Puis direction le stade Sixto Escobar, transformé en parc à vélo géant et en zone de transition. Des vélos comme s’il en pleuvait (1300 participants), avec du matos de folie et pas mal de roues lenticulaires qui risquent de s’avérer délicates à manœuvrer avec un vent latéral. Photo de groupe pour la postérité -pas sûr que nous ayions aussi bonne mine après la course- et retour au paddock pour la veillée d’armes.

Autre rituel immuable: les pâtes d’avant course sont au menu de tout le monde ou presque ce soir.