Le coffre de ma voiture émet un claquement sec en se refermant sur mes bagages et ma valise vélo. Nous sommes le mercredi 30 mai 2018 et ainsi débute la deuxième étape de mon Irontour 2018.
Cap sur Caroline, celle du nord. J’ai choisi le 70.3 de Raleigh pour de bêtes raisons de calendrier et pour sa relative proximité géographique. Cependant, les déplacements au départ de la Guadeloupe n’étant jamais simples, je dois passer une nuit à Miami à l’aller et au retour. Première émotion forte à mon arrivée à l’aéroport de Miami : mon vélo n’est pas livré avec le reste des bagages, et l’agent d’Air France à qui je m’adresse me dit ne pas le voir dans son système de suivi. Il a dû rester à Pointe-à-Pitre. Devant ma mine décomposée, elle mène rondement l’enquête et revient quelques minutes plus tard avec ma belle valise vélo. Ouf !
Je prends mes quartiers à l’hôtel de l’aéroport, pratique car il est situé dans le terminal E, mais sinistre à souhait. Cela dit, les chambres sont parfaitement insonorisées, et donc très calmes. En revanche, le petit déjeuner du lendemain matin est d’une indigence rare. Aussi, une fois délesté de mes bagages et de 150$ pour le transport de mon vélo de Miami à Raleigh, je m’empresse de réparer cette injustice en commandant un copieux breakfast dans l’un des restaus de l’aéroport, sous l’œil effaré de la serveuse qui me trouve un peu excessif. La pauvrette ne sait pas encore qu’il vaut mieux m’avoir en photo qu’à table le matin, mais elle ne va pas tarder à le réaliser.
Deux heures de plus tard, nous perçons la couche nuageuse pour atterrir à l’aéroport de Raleigh Durham. Du hublot, ce ne sont que forêts à perte de vue, saignées d’autoroutes et saupoudrées de quelques banlieues. De fait, le long trajet en taxi qui me mène à mon hôtel confirme cette impression. Nous roulons au milieu des arbres puis subitement, au détour d’un virage, les buildings de la ville apparaissent. L’arrivée dans downtown Raleigh est très étrange : pas un chat dans les rues tirées au cordeau, la ville est déserte, au point que je me demande si je ne me retrouve pas dans un épisode de « Walking dead ». Je m’engouffre dans le hall de l’hôtel avant de me faire dévorer par les zombies.
Je prends mes quartiers dans mon spacieux studio, je monte mon vélo et je pars en quête de provisions. Pas un magasin d’alimentation dans ce centre-ville très administratif (Raleigh est la capitale de l’état de Caroline du Nord). C’est donc … à la pharmacie que je vais me ravitailler – les pharmacies américaines tenant plus du bazar que de l’apothicaire. Ensuite, c’est le menu habituel : manger, dormir, courir et se couper du monde pour quelques jours. Mes rares pérégrinations dans la ville pendant deux jours confirment mes premières impressions. Raleigh est une fille de province un peu godiche, sans charme ni attrait, qui transpire l’ennui.
Le parc à vélo et le parcours de natation sont situés à 40 km de la ville, au bord du Lake Jordan, et aucune navette n’est organisée pour y déposer les vélos la veille de la course. J’ai donc loué une voiture pour m’y rendre, et ai pris soin de louer également un GPS. Connaissant mon sens inné de l’orientation, c’est plus prudent. Une fois mon petit déjeuner avalé, j’embarque mon vélo et mes affaires de course à pied et cap à l’ouest pour ma séance de déblocage à J-1. Au menu : 1h de vélo sur le début du parcours puis un enchainement tonique de 15 minutes à pied.
Contrairement à ce que je m’étais benoitement imaginé, le parcours vélo est du genre vallonné, et le début s’avère fort peu roulant, car truffé de faux plats montants et de bosses. Petit coup au moral. Et puis on parvient à l’Interstate 64 et là, changement de décor. Sur quelques kilomètres, en position aéro, le compteur flirte avec les 50 km/h et c’est le bonheur. Le moral remonte. Ma transition à pied avalée, je dépose mon vélo au parc, jette un œil sur le parcours natation et je rentre me mettre au frais. Là aussi, je m’imaginais que la température serait plus fraîche ici qu’en Guadeloupe, mais il n’en est rien : même au nord, Caroline est chaude et moite, si bien que les conditions de course vont être un peu pénibles. Conséquence de ce temps chaud : la température de l’eau a grimpé à 26.6°C, donc adios la combi.
Tous ces évènements trépidants nous mènent tout droit au dimanche 3 juin. Il est 4h du matin, je m’arrache à la douceur de ma couette et à mes oreiller moelleux pour avaler mon gros gâteau sport chocolat noisette, me doucher, me tartiner de crème solaire, vérifier une dernière fois le contenu de mes sacs de transition préparés la veille et me diriger vers la zone de transition T2 pour y déposer mon matériel de course à pied. Dehors, le défilé des triathlètes a débuté dans la nuit noire et dans la bonne humeur. On a beau faire partie d’une secte d’allumés, on n’en est pas moins venu pour s’amuser. Et pour souffrir un peu aussi parce qu’on aime ça. Si aucune navette n’était prévue la veille pour le dépôt des vélos, c’est une véritable noria de bus qui transporte ce matin les 1300 participants au lake Jordan, dans un ballet parfaitement réglé. Et pour cause : l’accès au lac est bloqué pour l’épreuve, on ne peut y accéder qu’en bus. Organisation à l’américaine, les flics du bureau du sheriff du comté bloquent les intersections tout le long du parcours vélo, gyrophares scintillants trouant la nuit.
Arrivé au parc à vélo, c’est le rituel habituel : gonfler les roues, scotcher les fléchettes sur le cadre, clipper les chaussures, installer le compteur Garmin puis de se mettre à l’écart pour rentrer dans sa course, s’étirer, s’échauffer à sec. Le départ des pros est donné puis les groupes d’âge s’élancent toutes les 4 minutes. Je pars dans la 4e vague, ce qui est un avantage pour éviter les embouteillages dans les zones de transition mais un inconvénient sur le parcours vélo, car il y a peu de monde devant et qu’il est donc difficile de se motiver en doublant des concurrents.
La corne de brume retentit et la centaine de concurrents de ma vague s’élance, bonnet rose sur la tête. Les bouées défilent, je suis à la bagarre dès le début avec un concurrent avec qui je vais le rester pendant ces longs 1900 mètres. Je ne peux pas suivre le premier wagon, mais j’ai pris la tête du deuxième et je m’efforce de conserver une trajectoire rectiligne. On rattrape la vague précédente avant le premier virage, tout se passe pas trop mal puis je commence à avaler un peu d’eau et ça va moins bien. Je sors de l’eau et regarde ma montre : 38 minutes, pas bon du tout.
Transition correcte, et c’est le départ à vélo. Je sais que ça va être dur au début, et je ne panique pas dans les bosses. Mais mon Garmin n’affiche ni vitesse ni distance, et ça, c’est vraiment pas cool. Sans doute acclimaté à la nonchalance sudiste, il va se réveiller au bout de plus de 4 kilomètres de course, si bien que je vais devoir compter pendant tout le reste du parcours pour avoir une petite idée de ma vitesse moyenne et de la distance restant à parcourir. Comme je m’y attendais, le parcours est très vallonné et furieusement champêtre. Une fois passé la section autoroutière, nous prenons de petites routes qui serpentent entre les champs, au bord de lacs. Ça monte, ça descend, et même si les pentes sont raisonnables, les variations de rythme sont importantes. Sur les sections roulantes, ça dépote sévèrement, et c’est la première fois que je passe la barre des 60km/h en compétition. Là, les roues pleines sont redoutablement efficaces et les concurrents qui en disposent me doublent dans un bruit de pales d’hélicoptères (woof woof woof). Dès que ça grimpe en revanche, ils sont tankés et je les passe, dans le strict respect des règles (6 longueurs de vélo entre les concurrents, 25 secondes pour doubler). Et comme il n’y a à l’horizon nul inspecteur Clouzeaux bedonnant déguisé en arbitre et dénué de discernement, tout se passe normalement, sans que ne soit distribuée de pénalité au petit bonheur, comme cela peut arriver dans des contrées moins civilisées. Les kilomètres s’enchaînent – ou plutôt les miles, les états-uniens étant rétifs au système métrique – et on attaque les 10 derniers. Pas trop mal aux jambes, la course à pied s’annonce bien.
Deuxième transition très moyenne, j’ai du mal à caser ma provision de fléchettes dans les poches de ma trifonction. Casquette vissées, bouteille à la main, une deuxième course commence. Je sais que j’ai fait une natation moyenne et un vélo correct mais sans plus. C’est donc maintenant qu’il va falloir mettre le feu. Un concurrent de mon groupe est juste devant moi, petite foulée très dynamique, je sens qu’il va me poser des problèmes. On est parti un peu vite (4:23), je le double dans la première bosse et je ne le reverrai plus. Deuxième kilomètre encore un peu rapide (4:25), je calme un peu le rythme et me met en vitesse de croisière. Quelques kilomètres plus tard, sans concurrent devant moi, je suis mal orienté par un signaleur – qui me le confirmera sur la 2e boucle – et je m’aperçois à la fin de ma première boucle que j’ai dû rater une partie du parcours. Panique à bord, je ne suis pas venu pour me faire disqualifier. Je m’arrête pour expliquer ma situation à une officielle, qui me mitonne alors un véritable jeu de piste avec tours et détours pour que je puisse avoir la distance au compteur. Sans plus de repère sur mes concurrents, je me concentre sur ma vitesse et je tente de faire le vide pour me remettre dans la course, alors que le mythe de l’organisation irréprochable d’Ironman vient de s’écrouler dans un immense fracas. Les kilomètres (pardon, les miles) s’enchaînent, je sens que suis bien. Je m’hydrate à tous les ravitos, j’alterne fléchettes énergétiques et fléchettes anti crampes et j’attaque le dernier tronçon avant l’arrivée, avec une belle montée. Dernier virage, j’aperçois le tapis rouge et l’arche d’arrivée au loin. Je sais que je tiens enfin cette putain de barre des 5 heures, au terme une partie de cache-cache qui dure depuis plusieurs années. Je la franchis en 4:57:30, dans un état de fraîcheur qui me surprend.
Une plâtrée de pâtes plus tard, je suis de retour l’hôtel. Je me douche longuement, je lave toutes mes affaires et je consulte enfin les résultats en mangeant des flocons d’avoine. Caramba, encore 2e !
La remise des prix s’effectue dans une ambiance très bon enfant. Très munificente, l’organisation récompense les 5 premiers de chaque catégorie, c’est donc un déluge de plaques en ferraille signées Ironman sur lesquelles sont indiqués la catégorie et le classement. Ensuite a lieu l’attribution des places pour les championnats du monde, et j’assiste alors ébahi à un spectacle étonnant. Le speaker égrène le classement à la recherche de concurrents qui acceptent le slot. Et il doit descendre très bas pour trouver preneur. Dans ma catégorie, deux concurrents finissent par se manifester, qui ont bouclé leur parcours en plus de 6 heures !!
Le rideau tombe sur le 70.3 de Raleigh, pour la dernière fois, l’épreuve devant disparaitre du calendrier l’année prochaine. Bilan globalement positif pour moi, et bonne expérience de gestion de course en situation délicate. Dernière étape avant les mondiaux de septembre : Whistler (Colombie britannique, Canada) le 29 juillet.