Chroniques de PYT : Voir Whistler et courir

BySylvain Pigeau

Pierre-Yves Teycheney a pris part, le 29 juillet, à l’Ironman 70.3 de Whistler au Canada (Colombie Britannique). 4e de sa catégorie (5 h 06’06), il a, hélas, raté le ticket pour les mondiaux de Nice 2019 pour une place. Voici le récit de son aventure canadienne.

Mercredi 25 juillet 2018, 19h50. Il tombe sur Montréal un crachin déprimant et voilà déjà 40 minutes que les passagers du vol AC1727, dont je suis, ont tout loisir de contempler le tarmac luisant, au-delà des hublots de l’Airbus qui nous a amenés au Canada. Le pilote attend qu’une place de parking se libère pour nous libérer également. Un gros orage s’est abattu sur la ville une heure avant notre arrivée, et c’est la pétaudière. Il pleut toujours le lendemain matin à 5h30 lorsque je prends place à bord de la navette qui me ramène à l’aéroport, après une assez courte et mauvaise nuit dans un hôtel sans charme et à la climatisation remarquablement bruyante. L’enregistrement des bagages prend un temps infini, et la pluie n’y est pour rien. Comme le scanner des bagages hors format est totalement sous dimensionné, je dois ouvrir et vider ma valise vélo pour que les agents de sécurité s’assurent que je ne transporte aucune substance prohibée.

Cinq heures plus tard, changement de décor. Nous atterrissons à Vancouver sous un ciel sans nuage. Il fait 24°C, et ce temps me rappelle mes hivers australiens d’il y a 25 ans, à l’air léger et piquant qui incite à l’enthousiasme et à l’insouciance. Je récupère mon carrosse chez Avis, une Jeep Renegade de frimeur, j’embarque mes bagages, mon vélo et en route pour la montagne.

La canicule au Canada

Premier arrêt chez Wholefoods Market, supermarché bio d’une chaîne qui a essaimé en Amérique du Nord. Je remplis littéralement le coffre de victuailles, je déjeune et je reprends la route. La côte est aussi belle que lors de mon précédent séjour en Colombie Britannique, il y a tout juste 20 ans. Passées les banlieues résidentielles qui transpirent l’opulence, la route longe des paysages de fjords saupoudrés d’îles couvertes de résineux. Le

Pacifique a cet aspect bleu clair à la fois laiteux et lumineux propre aux eaux froides. La route s’élève, s’éloigne de la côte comme à regret et la température grimpe elle aussi de façon étonnante, puis inquiétante. Ici aussi c’est la canicule, et l’altitude n’y changera pas grand-chose. Arrivé à Whistler, il fait 31°C et une chaleur accablante. Selon les prévisions, ce sera pire encore dimanche. Bienvenue dans la rôtissoire qui va servir de décor à la dernière étape de mon IronTour 2018 avant les mondiaux sud-africains, dans 5 semaines.

Je m’installe dans un appartement situé à 5 mn du village -ou plutôt du cirque- Ironman et de la zone de transition vélo / course à pied et c’est le début du rituel pré-course : manger, dormir et prendre ses marques. Le lendemain matin, je file au Lake Alta distant d’environ 10 km de Whistler, d’où nous prendrons le départ dimanche. L’eau est frisquette pour un poisson tropical (20,5°C) et enfiler une combi -ma merveilleuse Aquaman Bionik- pour la première fois depuis un an provoque une drôle de sensation : compression maximale et sensation d’oppression dans l’eau. Mais l’effet glisse est toujours le même. Pas une vague, pas de courant, c’est le bonheur.

Je rentre à Whistler, je dors un peu puis je vais retirer mon dossard et je rentre me mettre au frais. Dehors, c’est la fournaise. Journée en roue libre : manger, dormir, comme une litanie apaisante, rentrer dans sa bulle à l’écart du tumulte.

D-Day -1

Samedi 28 juillet, 6h45. Flocons d’avoine (bio !) avalés, me voici de retour au Lake Alta pour ma rituelle séance pré course : 1h de vélo sur le début du parcours, enchaînés avec 15 minutes toniques à pied, histoire de réveiller la bête. Sur le papier, le parcours vélo parait assez saignant (1250m de dénivelé) et son début, qui est à mon menu matinal, le confirme: montagnes russes à la sauce canadienne, ça monte et ça descend en continu. J’enchaîne à pied et au bout de 10 minutes, la contracture au soléaire gauche qui m’empoisonne depuis un mois et est sensée être guérie se réveille mal à propos. Gros coup au moral, je ne vois vraiment pas comment courir un semi dans ces conditions sans risquer la blessure, à 5 semaines de ma virée sud-africaine. J’essaie de relativiser, je prends un solide petit déjeuner sur les bords du lac en attendant l’heure de déposer vélo et sac de transition T1, puis je rentre faire une sieste. Après avoir déposé mes affaires de course à pied à T2 dans l’après-midi, je demande au staff Ironman s’il y a un stand de kiné dans leur Barnum. Négatif, mais une très gentille jeune fille me conseille d’aller voir au cabinet de kiné qui est situé juste en face de mon chez moi d’emprunt. Ce que je fais, par acquît de conscience. On est samedi, il est 16h30, et je suis certain que le cabinet sera fermé. Première surprise : il est ouvert. Deuxième surprise : on me case un rendez-vous pour 17h30. Troisième surprise : je suis pris en charge par une jeune kiné montréalaise super compétente. Examen clinique poussé, elle me garde en consultation pendant 1h30 et déploie son arsenal thérapeutique, couronné par la pose d’un taping décoré de feuilles d’érable, qui devrait me permettre de faire ma course. C’est donc un peu moins démoralisé que je passe ma soirée, ponctuée par les derniers préparatifs. A 21h, extinction des feux – mas il fait encore jour dehors – et nuit de sommeil pas trop mauvaise.

Dimanche 30 juillet, 4h15. Direction la douche, puis petit déj classique (2 gâteaux sport chocolat noisette, 2 smecta). Je me tartine de crème solaire, j’enfile ma trifonction toute neuve (une Kiwami Rio LD Aero sensationnelle) et je pars bien couvert (collant, polaire) dans le petit matin frisquet. Beaucoup de triathlètes sont déjà en trifonction et n’ont pas l’air gelés. Dix contre un qu’ils s’envoient une bouteille d’antigel au petit déjeuner. Une fois complété mon sac de transition, je monte dans un des bus qui assurent le transfert vers Alta Lake. Organisation nord-américaine irréprochable, comme à Raleigh la noria des bus est impressionnante et efficace. A l’arrivée au lac, en revanche, c’est un joyeux foutoir pour accéder au parc à vélo. Il faut dire que se courent en même temps l’Ironman et le 70 .3 du Canada ! Le départ de l’Ironman a lieu une heure avant celui du 70.3 et les concurrents sont déjà dans le sas qui déborde sur le parc à vélos. Je scotche mes fléchettes, je pose mes bidons, je gonfle mes pneus et je file à l’écart dans une clairière entourée de vieux chalets en bois, pour me mettre au calme et commencer mon échauffement à sec. Puis vient l’heure d’enfiler mon costume d’otarie et de me diriger vers le départ. Pas de vagues par classe d’âge, nous nous plaçons en fonction de nos temps estimés et le départ se fait en un flot continu. Passée l’arche, nous nous élançons dans l’eau et c’est parti pour environ 5 heures d’effort.

70.3 et full Ironman le même jour

Impossible de se repérer par rapport aux concurrents de ma catégorie, et ce sera comme ça pendant toute la course. Nous rattrapons des concurrents de l’Ironman sur leur deuxième boucle de natation, mais globalement, on n’est que peu gêné et les dépassements se font sans castagne. Les bouées défilent, j’ai l’impression de faire une natation prudente, et ce sera le cas en effet. Sorti de l’eau en 33’, pas terrible avec une combi. L’analyse post course montrera que j’ai fait 100 mètres de plus, sans doute à cause d’erreurs de trajectoire.

Je commence à m’éplucher en courant, je récupère mon sac de transition et je me change sous la tente bondée. Comme il était interdit de clipper les chaussures sur le vélo, c’est donc casque sur la tête et godasses à la main que je rejoins mon vélo, pas du tout envie de courir dans l’herbe et le sable avec mes chaussures vélo aux pieds. Ensuite il y a encore environ 200 mètres à parcourir vélo à la main avant de pouvoir débuter le parcours et avaler ses 1250 mètres de dénivelé.

Ca grimpe dès le début, et les bosses se succèdent jusqu’à l’intersection avec la highway 99. Alors, on peut se coucher et envoyer les watts. Là encore, on double des dizaines de concurrents de l’Ironman, La route n’est neutralisée que sur une moitié, qui sert aux athlètes roulant dans les deux sens. Les dépassements sont parfois sportifs, beaucoup de concurrents ayant tendance à rester à gauche même après avoir doublé quelqu’un. Globalement ça ne roule pas trop mal, ça monte et ça descend en continu. Certaines descentes sont rapides, et je vais de nouveau battre mon record de vitesse instantanée sur une épreuve (70km/h, frissons garantis !). On arrive enfin à l’endroit auquel les concurrents de l’Ironman font demi-tour pour finir leur première boucle alors que nous continuons vers la principale difficulté du parcours, une montée de 5 kilomètres environ. L’horizon se dégage et on peut enfin se compter. Je continue à rattraper des concurrents, c’est bon ça. Le paysage est grandiose, montagne fleurie version Heidi, sommets enneigés au loin et soleil de plomb. Ne manquent que les ours. Et justement, alors que nous entamons la dernière montée vers la station olympique où eurent lieu des épreuves de ski des JO de 2010, un ourson déboule de la forêt et traverse la route juste devant nous. Dans un éclair de lucidité, je forme le vœu que sa mère ne soit pas dans les parages, sans quoi ça risque d’être notre fête. Arrivé au sommet, demi-tour et descente plein pétrole. On rejoint la highway et c’est le retour vers Whistler en doublant des dizaines de concurrents de l’Ironman. On revient à Alta Lake, puis à nouveau demi-tour vers Whistler et le parc à vélos, après quelques détours bien casse gueule dans les rues étroites et surchauffées de la ville.

Je pose le vélo, récupère mon sac de transition et cours vers la tente. Et là, sur quelques foulées, je sens que cette foutue contracture au soléaire va m’accompagner pendant tout le semi-marathon. Très mauvaise (demi) surprise. Je pars très prudemment et me met en mode éco, et je vais courir tout ce semi de cette façon. Les kilomètres et les ravitos défilent, je sens que je pourrai aller au bout sans dommage à condition d’être raisonnable. Au dixième kilomètre, je me fais doubler par la lune. Enfin presque, un jeune concurrent mexicain dont le nom (Luna) est floqué sur sa trifonction. Je m’accroche et ça va pas mal du tout sur 2 kilomètres, puis le voyant orange s’allume et je dois freiner. Mon mexicain se fait la malle, mais je reprends un train régulier et je reviens sur lui. Ce petit jeu va durer jusqu’à l’arrivée sur ce parcours mi-chemin, mi route, heureusement ombragé (il fait alors 34°C et le soleil tape sans pitié), jamais vraiment plat et qui ondule entre lacs et forêts. Je descends mes fléchettes avec une régularité de métronome, je bois à tous les ravitos et nous voilà au 20e kilomètre. Dans le dernier virage avant la longue ligne droite qui mène à l’arrivée, je déclare la guerre au Mexique et j’accélère. Eclipse de lune, je franchis la ligne. 5h06 à ma montre et pas vraiment la course que j’espérais mais c’est comme ça.

4e de la caté et 58e du scratch

Une fois récupéré mon Tshirt, ma casquette et ma volumineuse médaille de finisher, je me dirige vers la tente où l’on sert à manger aux athlètes. Vision de l’enfer diététique : on n’y sert que des frites et des pizzas. J’arrache deux bananes, une orange et une bouteille d’eau, j’avale tout ça et je rentre me mettre au frais. Une fois douché et attablé devant une bonne salade de pâtes, je jette un œil sur mon classement : 4e de ma caté, 58e scratch. Pas mal mais frustrant.

La cérémonie de remise des récompenses et d’allocation des slots pour Kona 2018 et Nice 2019 a lieu le lendemain matin. Il y a généralement 2 slots dans ma caté, et je sais que ça va être chaud pour décrocher dès maintenant ma qualif pour les mondiaux 2019 de 70.3 à Nice. Une fois qu’on a reçus nos trophées (une méchante plaque en ferraille reproduisant le logo Ironman) débute le rolldown. Dans la caté supérieure, les deux premiers se désistent et je me dis que ça va peut-être se passer comme ça dans la mienne. Le vainqueur de ma caté ne prend pas le premier slot, ça part bien. Hélas, les deux suivants en prennent un chacun, et je me retrouve sur le carreau. Grosse déception, j’aurais bien aimé que ça passe pour dégager ma fin de saison. Tant pis.

Retour à Vancouver

Pendant que le cirque Ironman démonte le décor, je démonte mon vélo et prépare mes bagages. Départ demain pour Vancouver, puis Montréal et la Guadeloupe. Prochaine étape de mes pérégrinations sportives : Port Elizabeth le 2 septembre, pour le bouquet final de cette très longue saison, entamée en septembre 2018.

La suite au prochain épisode !

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