La route aura été longue et sinueuse, elle aura connu des hauts, des bas, des bobos, des ah ah, mais me voici en route pour la pointe de l’Afrique et les mondiaux de 70.3. Deux nuits d’avion dans des conditions très confortables, entrecoupées d’une escale d’une journée ensoleillée à Paris et d’une autre de quelques heures à Johannesburg, et j’atterris à Port Elizabeth. Ciel plombé, un petit 15°C et un vent qui saisit dès la sortie de l’avion, tandis que je traverse le tarmac pour gagner l’aérogare. A neuf jours de la course, pas mal de triathlètes débarquent en même temps que moi de l’avion, comme en témoignent les nombreuses valises vélo apportées une par une à la sortie des bagages hors format. A peine réunis autour de nos vélos respectifs, nous nous dispersons déjà aux quatre coins de la ville, pressés de prendre possession de nos quartiers.
Le mien s’appelle Avocet Guesthouse et s’avère plus petit, plus mal équipé et plus bruyant que prévu. Il faudra faire avec. Je dépose mes bagages puis file au supermarché le plus proche pour un ravitaillement XXL qui, la suite le prouvera, s’avèrera la décision la plus avisée de ce début de séjour. Dîner puis dodo, pour une grosse nuit de sommeil réparateur fort bienvenue.
Drôle de drame à Glaglaland
C’est sous un ciel toujours gris que je remonte mon vélo et que je pars rouler sur le parcours de la course. Vu d’avion, sur les vidéos postées par Ironman, ce parcours est magnifique. Il longe la côte sauvage en épousant ses contours, ondoie le long de plages désertes ourlées de vagues. La réalité est hélas moins idyllique à cause d’un élément clé : le vent. Le surnom de Port Elizabeth est « windy city » et il n’est pas usurpé. Ca souffle en effet fort, un vent continu et usant, avec des rafales qui rendent la tenue du vélo parfois très difficile – et je n’ai pourtant que des roues de 40. Comme le voisin d’en face est l’Antarctique et qu’il ne ferme pas sa porte, ce vent est froid. C’est donc gelé et démoralisé que je rentre de ma sortie, malgré les encouragements d’une famille de babouins descendue d’un arbre pour me regarder passer.
Un déjeuner et une sieste plus tard, je pars de nouveau faire quelques courses. Arrivé à la caisse du supermarché, une trappe s’ouvre sous mes pieds et m’engloutit lorsque je découvre que mon portefeuille ne se trouve plus dans mon sac à dos. Sans argent ni aucun moyen de paiement dans un pays étranger, je lance la machine infernale : annuler ma carte bancaire, faire appel à Visa Premier pour un dépannage d’urgence … qui prendra 6 jours de tractations téléphoniques interminables, déposer une déclaration de vol au commissariat du coin, consignée manuellement dans un méchant cahier d’écolier par une policière fraîchement alphabétisée. Gros coup de stress vraiment pas terrible pour finir de préparer une course.
Autant en emporte le vent
Si les sorties vélo du week end ne sont pas de nature à me rassurer, en raison de ce vent qui jamais ne faiblit, les arrivées de Mathilde (Batailler) et de Valéry (Vaudran) vont me mettre du baume au cœur. Le ciel se dégage enfin et c’est sous le soleil que Valery et moi allons goûter l’eau : elle est glaciale (16°C) et notre séance de cryo-thalassothérapie durera 11 minutes exactement.
Le reste de la semaine est consacré aux dernières séances, dont ma première séance à pied depuis la méchante entorse contractée une semaine avant mon départ, qui m’a valu un arrêt complet d’une semaine. A dire vrai, les pépins physiques se sont succédés depuis le Championnat de Guadeloupe fin juin et m’ont empêché de me préparer correctement à pied.
Pendant que la ville se remplit de triathlètes roulant et courant dans tous les sens, l’organisation termine le montage des zones de transition. La ville et ses alentours sont pavoisés de drapeaux et d’affiches célébrant la course et ses héros. Puis viennent le défilé des athlètes derrière leurs drapeaux nationaux et le « banquet des champions », désignation un peu ronflante pour un dîner sous une tente géante au cours duquel l’organisation nous annonce que nous sommes 4500 à concourir (1900 femmes et 2600 hommes), record de l’épreuve.
Depuis 2017, le course féminine a lieu le samedi et la course masculine le dimanche. Une fois terminée ma toute dernière séance (1h de vélo, 15 mn de course à pied), je me poste au coin de ma rue pour encourager Mathilde sur ses deux boucles de course à pied. En vrai métronome, elle termine son semi en 1h37 et fait une très belle course. Respect !
Je prépare mes sacs de transition et vais les déposer, de même que mon vélo. Je mange, je me couche de bonne heure et j’essaie de dormir, sans grand succès.
Voyage au bout de la pluie
Rituel immuable d’un matin de course, je me douche, je déjeune d’un gâteau énergétique, je m’habille et je rejoins la zone de transition T1. Un système de navettes a été mis en place par l’organisation, mais il s’avère un peu défaillant et ce n’est qu’après 30 minutes d’attente qu’apparait un bus bondé dans lequel je prends place. Cette attente m’a permis de discuter avec un concurrent vénézuélien exilé à Bahrein, qui me raconte comment il s’entraine exclusivement indoor : course à pied sur tapis, vélo sur home trainer…
Arrivé à T1, je remets de l’air dans mes pneus, je scotche mes gels sur le vélo, je clippe mes chaussures et je m’installe au calme, bien couvert, pour faire un peu le vide au milieu du tumulte. J’enfile ma combi et je rejoins la zone de départ, tout au bout de la plage. Des barrières ont été installées, et le dispositif ressemble étrangement à celui d’un abattoir dans lequel, tel le bétail, nous progressons jusqu’à l’arche gonflable qui marque le départ. Je retrouve Valéry et nous sous souhaitons mutuellement une bonne course. Le départ se fait par rolling start à l’intérieur de chaque caté, 10 athlètes partant toutes les 10 secondes. Valéry s’élance sur la plage en courant, puis après 10 bips, c’est mon tour.
Je cours sur le sable, je plonge et c’est parti. Il y a pas mal de vagues, et je me sens lourd dans l’eau. Les bouées défilent pourtant, je double des concurrents de ma caté, puis de la caté partie avant la mienne, sans avoir aucune idée de mon allure. Le rolling start évite la baston habituelle, et il est facile de garder une trajectoire à peu près rectiligne. Première bouée rouge à 800 mètres, deuxième 300 mètres plus loin, puis c’est le retour vers la plage après de nouveau 800 mètres. Je regarde ma montre en passant sous l’arche : 31 minutes, mon meilleur temps nata de la saison. Des bénévoles nous aident à éplucher nos combis puis nous courrons rejoindre nos sacs de transition. Enfiler le casque, mettre les lunettes de soleil, embarquer les barres énergétiques dans les poches de la trifonction, caser la combi dans le sac de transition puis balancer celui-ci tout en courant vers le vélo et hop, c’est parti pour 90 bornes, sous la pluie.
Passé le front de mer, le parcours bifurque vers l’intérieur des terres et un premier faux plat montant. Jusqu’au demi-tour au kilomètre 37, le vent est de face et il ne faut donc pas trop se fier à sa vitesse, sans quoi le moral en prend un coup. Cette première partie du parcours se passe bien, je joue à cache-cache avec Valery, repris vers le 7e kilomètre et qui a l’air super bien à vélo. La route est trempée, et je suis donc très prudent dans les descentes. On rejoint le front de mer et la vue sur la côte est en effet éblouissante. Avant le demi-tour arrivent deux belles bosses usantes et les descentes qui vont avec. Puis on bascule au sommet et on entame le chemin du retour. Je perds Valery de vue dans la première descente, il a filé comme un météore et je ne le reverrai plus. Je sens que ça coince sur cette deuxième moitié, que la fatigue cumulée pendant cette très longue saison ne s’est pas dissipée, mais je m’accroche et joue ma partie. Le vent est plus favorable et la moyenne remonte. Je compte les kilomètres qui restent à parcourir : 40, 30, 20 puis 10 alors qu’apparaissent les immeubles les plus hauts du front de mer de Port Elizabeth. Longue ligne droite menant à T2, je sors les pieds des chaussures dans les derniers 500 mètres, saute du vélo sur la ligne et le tends à un bénévole. Un rapide coup d’œil au compteur : 2:42:07, pas super mais vu le parcours, je pense avoir limité les dégâts. Je cours vers mon sac de course à pied, le récupère et m’assois pour m’équiper. Provision de gels répartie dans les poches, casquette, chaussettes, chaussures et hop, je balance mon sac de transition et m’engage sur le parcours à pied en faisant un rapide calcul. Le sub 5 est jouable si je cours mon semi en moins de 1h40.
Lost in translation
C’est alors que la fatalité me poignarde dans le dos : j’ai oublié mon dossard dans mon sac de transition. Je fais demi-tour en égrenant mon répertoire d’insultes très étoffé, me traite de tous les noms pour avoir commis une erreur aussi stupide et fonce vers les bénévoles pour leur demander de retrouver mon fichu sac et le précieux dossard qu’il contient. Tous se mettent en quatre pour m’aider, alors que je me décompose à vue d’œil. Le flux continu de sacs balancés par les concurrents au fur et à mesure qu’ils quittent la zone de transition est chargé dans des caddies puis déchargé dans un camion. Retrouver mon sac relève de la mission impossible, mais une bénévole va pourtant y parvenir au bout d’un temps qui me parait interminable. Cet épisode désastreux va me coûter plus de 5 minutes, le prix de la stupidité.
J’essaie de faire abstraction de ce ratage pour me recentrer sur ma course, et me voilà parti pour 21 kilomètres. La course à pied est généralement mon point fort, mais je sens dès le début que ça coince, et que je vais devoir payer sur ce semi la rançon du mois et demi de sous entrainement à pied résultant des blessures qui se sont enchaînées depuis fin juin. Impossible de courir sous les 4’40 ‘’, puis, au fur et à mesure du parcours, sous les 4’50’’, puis sous les 5’. Je n’ai tout simplement pas les jambes. Les deux bosses situées aux extrémités de la boucle que nous devons parcourir deux fois s’avèrent vraiment casse patte. Dans ces conditions, une seule option : s’accrocher et gérer pour pouvoir terminer, même si ce n’est pas dans le temps que j’escomptais. Donc je m’accroche et j’en bave. Je compte les kilomètres avec pour seul point de mire la ligne d’arrivée, me fabriquant toute sorte de bouées psychologiques auxquelles me raccrocher : les vêtements secs et chauds qui m’attendent, la douche chaude, les copains qui doivent suivre ma course à distance, les milliers de kilomètres avalés cette saison pour pouvoir être là aujourd’hui, les courses de cette saison sur lesquelles j’ai cavalé à pied. Quinzième, seizième, dix-septième, l’arithmétique de la souffrance, dix-huitième, dix-neuvième, l’arrivée qui se rapproche et le bruit des commentaires diffués par haut-parleurs, vingtième, allez, plus qu’un petit kilomètre, le tapis rouge, l’arche là-bas, le public massé derrière les barrières et les enfants qui tendent les mains, et la ligne enfin : 1:43:50 , un des plus mauvais semis de ma saison, pour un chrono total de 5:09:21, le plus mauvais de ma saison le jour où justement, il aurait fallu claquer le meilleur. 143e sur 267 finishers et 318 engagés, pas même dans la première moitié. C’est une énorme déconvenue.
Vers le soleil, exactement
Je récupère mon paquetage de finisher (500 grammes de ferraille au bout d’un ruban, un Tshirt, une casquette, une serviette), réconforte Valery affalé sur une table, récupère de l’eau et le sac contenant mes vêtements secs, puis me dirige sous la pluie vers la tente de massage pour m’y changer. Après avoir fait la queue toujours sous la pluie, je récupère de quoi manger : le premier hamburger de ma vie, des frites molles, un cake à la carotte et un thé brûlant, tout me parait exquis. Je suis fracassé, mécontent et soulagé d’en avoir terminé. Je récupère sous le déluge mon vélo et mes sacs de transition, et je rentre chez moi.
Le dîner de clôture est l’occasion d’acclamer les cinq premiers de chaque catégorie. Dans la mienne, le vainqueur a bouclé sa course en 4h19. Sûr que son vrai nom est Clark Kent. Les courses élite féminines et masculines ont consacré deux légendes vivantes du triathlon, tous deux champions olympiques et multiples champions du monde : Daniela Ryf chez les femmes et Jan Frodeno chez les hommes. Ce dernier s’est offert le luxe de faire exploser à pied Alister Brownlee et Javer Gomez au terme d’une course de dingues. Respect !
Pour ma part, je n’ai fait exploser personne d’autre que moi, et il est temps de songer aux vacances. La saison a duré près d’un an, elle est globalement satisfaisante même si la course décevante d’aujourd’hui plombe mon moral et me désole. Il est grand temps de me mettre au repos complet. La Corse me tend les bras, elle m’offre ses plages et son soleil. Au programme : farniente au bord de la piscine, routes à flanc de montagne et siestes à la plage. C’est la fin de la saison.
A moins que…