Embrunman 2015 – La montagne magique Jour J

ByLes Grenouilles Bleues

Par Pierre-Yves Teycheney

Tout commence à 3h30 du matin lorsque sonne l’alarme de ma montre. Mais je suis réveillé depuis déjà un bon moment. Douche, petit déjeuner léger, dernières vérifications du paquetage préparé longuement la veille au soir. A 4h30, nous décollons de la maison en pleine nuit, pour descendre vers le lac. La noria des triathlètes, portant leur caisse en plastique remplie de tout ce dont ils auront besoin pendant la journée, a déjà débuté.

Chacun gagne sa chaise numérotée, dans le parc à vélo, gonfle ses pneus, organise son paquetage puis enfile sa combi. A 5h50 les femmes et l’unique athlète handisport s’élancent, encouragés par une foule déjà nombreuse. Puis c’est notre tour d’avancer jusqu’au bord de la plage et d’attendre le signal du départ, en sautillant sur place pour finir de s’échauffer et faire monter notre rythme cardiaque. Il fait encore nuit, le jour commence tout juste à poindre et les eaux sombres du lac ont un aspect un peu menaçant.

Silence, puis c’est le départ, dans le fracas habituel. Chacun essaie de se frayer un passage dans la foule compacte des participants, avec plus ou moins de tact. Pour moi, c’est le départ le plus difficile que j’aie jamais connu, je bois la tasse à plusieurs reprises, suffoque et commence à angoisser. Très mauvaises sensations, impression de ne pas avancer. Puis le flot humain se décante et je commence à remonter les participants, sans pour autant avoir l’impression d’aller vite. Pourtant, à la sortie, ma montre affiche un peu plus de 1h01, quasiment le même temps qu’à Francfort il y a 2 ans. Pas mal du tout. Transition catastrophique, s’habiller mouillé s’avère délicat. Compte tenu des très mauvaises prévisions météo, qui s’avèreront finalement optimistes par rapport à ce que nous endurerons, j’ai choisi l’option millefeuille: superposition de couches thermiques pour se protéger du froid. C’est donc un départ à 3 couches : débardeur thermique, T-shirt à mange longues thermique, tenue vélo. Et dans le feu de l’action, je pars avec un seul gant… En revanche, côté alimentation, j’ai de quoi soutenir un siège. Dans leur grande bonté, les organisateurs nous offrent 200m de plat pour débuter. Et ensuite ça grimpe. Longtemps.

Nous nous élevons au dessus du lac. Sylvain me double. Puis plusieurs kilomètres de montée plus tard, c’est à Seb de le faire. Dès le début de ce foutu parcours vélo, je sens que ça coince. Pas dans le tempo, pas de jus, je prévois une journée difficile, elle va s’avérer absolument terrible. Bien avant d’entamer la mythique montée de 14km de l’Izoard, les voyants passent de l’orange au rouge. Les Dhelens me surprennent en pleine miction et m’encouragent (à pédaler, pas à uriner) en me disant que je fais une super course. On commence l’ascension, dans un crachin qui va s’épaissir au fur et à mesure qu’augmente l’altitude. La reconnaissance de cette partie du parcours m’aura été très utile, je sais exactement ce qui m’attend, ce que j’ignore en revanche, c’est la façon dont je vais m’y prendre pour parvenir au sommet. Et c’est là qu’apparait le fessier galbé de Sonia, qui va être mon point de mire. Arvieux n’est plus du tout en fête, l’eût il été encore que nous ne nous y serions de toute façon pas arrêtés, le temps dégueulasse n’incitant qu’à se mettre à l’abri. Arrive Brunissard et cette longue ligne droite. Une seule obsession, tenir jusqu’en haut, après on avisera. Lacets, panneaux, puis la Casse Déserte et sa descente avant les 3 derniers kilomètres d’ascension. Et le fessier de Sonia qui se fait la malle. J’arrive au sommet, gelé et épuisé. On est au kilomètre 100, il en reste 86. Première opération, rajouter 2 couches en prévision de la descente: veste Gaba et coupe vent. Deuxième opération: pique nique! Sandwich St Moret / jambon, solide tranche de gâteau maison (banane/dattes/noix/noisettes), Mule Bar, 3 tasses de thé brûlant pour faire passer. Je pisse un boc et repars. Bertrand m’a dépassé pendant ce long arrêt totalement nécessaire. La descente est un chemin de croix, sur une route trempée, dans la pluie et le froid. Ce temps pourri va nous accompagner jusqu’à Embrun, et je vais en baver comme jamais. Et là, la côte de Chalvet comme le dernier clou sur mon cercueil: un truc inventé par un sadique, acension inyerminable. Ça dure des kilomètres. Seul point positif, arrivé enfin au sommet de cette monstruosité, on a atteint son point d’ébullition, le froid s’est dissipé. Ensuite c’est la longue descente vers le parc à vélo, sur une route défoncée, trempée et couverte de gravillons. Le bonheur, quoi. J’arrive au parc à vélo dans un état de décomposition très avancé, après 8h44 de vélo quand j’en prévoyais 8.

Gros coup au moral, et forte tentation d’abandonner. Je pose le vélo et deux charmantes jeunes filles se matérialisent, là, sous mes yeux, un gros tube de crème à la main. L’une va me masser les jambes, l’autre le dos, également endoloris. Puis je me change de nouveau en me demandant comment je vais pouvoir trouver les ressources physiques et mentales pour avaler un marathon, alors que je n’en peux plus. Je décide de courir les 10 premiers kilomètres puis de faire le point à ce moment là, et de m’arrêter à tous les ravitos sans exception.

Petite foulée, à l’économie. Premier quart (10.5 km) en 57mn, ce qui vu le relief (des montées usantes) n’est pas trop mal. Je négocie avec moi même de poursuivre jusqu’au 22e et de voir après. Premier semi bouclé en environ 2h, je me dis que ça va peut être le faire, mais je sais que le 2e va être dur à avaler. Et il le sera, en effet. Des ravitos de plus en plus longs, je marche dans les côtes les plus dures, et Mickaël (Lambert) apparait, sur son fier destrier (son vélo) pour m’accompagner à partir du 30e kilomètre. Une vraie bénédiction. Au 36e, on bascule à Barratier, pour 3 kilomètres de descente. Le panneau 40 met un temps infini à apparaître, et là enfin je me lâche. Tour du lac, arrivée en vue, et ce public qui encourage chacun en l’appelant par son prénom, comme si on se connaissait depuis des lustres. Je croque 3 concurrents dans le dernier kilomètre et franchis la ligne en 14h29mn11sec, soit près d’une heure de plus que le temps que je visais.

Très mécontent, très frustré, étranger aux félicitations admiratives qui me paraissent totalement imméritées. Les autres grenouilles ont connu des fortunes diverses : dérailleur cassé pour Sylvain, qui répare au sommet de l’Izoard et termine en pignon fixe …. en 11H53 ; Seb fait un parcours fantastique en 12h44, Betrand en 13h43. Les Julan, hors délai, sont arrêtés pendant le parcours vélo.

Beaucoup d’enseignements à tirer de cette course, notamment en matière de préparation pour ma part. Ce sera pour plus tard. La Corse et le farniente m’attendent, et le vélo ne sera pas remonté avant mon retour en Guadeloupe, mi septembre.

Ce qui est certain, c’est que cette épreuve -dans tous les sens du terme- change ceux qui s’y prêtent. A son terme, on redescend vers le monde, différent, à l’image de Hans Castorp, le héros de Thomas Mann quittant « la montagne magique ».